Racontez-nous votre parcours et ce qui vous a amenée à vous impliquer dans les questions liées aux droits des femmes autochtones.
Le parcours que j’ai suivi a été déterminé au moment de ma naissance, avec un père québécois et une mère innue. Le racisme s’est imposé naturellement et, très tôt, cette réalité m’a frappée. En grandissant, j’ai dû revendiquer deux identités, québécoise et innue, sans être pleinement acceptée dans aucune des deux. Cette incompréhension identitaire m’a poussée à chercher ma place ailleurs, notamment en m’impliquant, à l’âge de 16 ans, au Centre d’amitié autochtone de Montréal, où j’ai trouvé un réconfort auprès de personnes partageant des expériences similaires (métisses) et où j’ai commencé à mieux comprendre mon histoire.
Entre 18 et 24 ans, je me suis engagée activement dans la cause des femmes autochtones, dont j’ai notamment travaillé à défendre les droits; j’ai également prononcé des discours devant la Commission royale sur les droits des autochtones. Entourée de femmes remarquables et engagées dans cette lutte, j’ai bénéficié de mentorat et j’ai trouvé une estime de soi bien méritée. À l’âge de 28 ans, j’ai pris part au mouvement des Femmes autochtones du Québec (FAQ), où j’ai obtenu une fois de plus du mentorat auprès de femmes issues de diverses communautés qui comprenaient l’importance des mouvements collectifs. Chaque nouvelle expérience a été une précieuse leçon de vie pour moi.
J’avais envisagé initialement de devenir professeure de beaux-arts, mais j’ai abandonné mes études pour suivre ma nouvelle vocation d’activiste et soutenir les communautés autochtones, ce qui me procure une profonde satisfaction et un grand sens d’accomplissement personnel.
En quoi consiste votre rôle de sénatrice et comment vous en servez-vous pour promouvoir l’avancement des femmes autochtones au Canada?
À l’âge de 28 ans, alors que je m’impliquais activement au sein de FAQ, j’ai réalisé à quel point il était nécessaire de changer la législation sur les peuples autochtones (la Loi sur les Indiens). J’ai ressenti le besoin de remettre en question la multitude de règlements et de lois restrictives en vigueur, d’entreprendre des études approfondies, de convoquer des témoins et de faire entendre notre voix. Tous les aspects de la vie des peuples autochtones étaient touchés : droits de la personne, commerce international, feux de forêt, changements climatiques, et bien d’autres. Mon travail consiste à élaborer des lois et à effectuer des études visant à faciliter les expériences juridiques fédérales, et à établir des contacts avec les ministres et les oppositions afin que notre voix soit véritablement entendue. En plus de cela, je consacre beaucoup de temps à aider des personnes qui sont confrontées à des difficultés et qui ont besoin d’aide.
Quels sont les défis les plus pressants auxquels sont confrontées les femmes autochtones au Canada?
Face aux défis pressants auxquels les femmes autochtones au Canada sont confrontées, il est primordial pour nous de reprendre notre place et de défendre notre droit à l’autodétermination, même si cela se fait progressivement, dans un contexte colonial. Que ce soit pour les jeunes mamans ou les kukums, nous aspirons à ce que nos enfants restent au sein de nos communautés. Nous devons également faire face à des défis tels que la violence conjugale et latérale, ainsi que le racisme systémique. Malgré ces obstacles majeurs, de remarquables leaders émergent au sein de nos communautés, insufflant une énergie vitale pour permettre aux femmes autochtones de respirer et de vivre pleinement.
Comment voyez-vous l’évolution de la représentation et de la participation des femmes autochtones en politique et dans d’autres sphères de la société?
C’est encore fragile. Bien que nous soyons de plus en plus présentes, cela reste difficile, car nous sommes souvent responsables de familles et de personnes âgées ayant divers besoins, ce qui est souvent incompatible avec la politique.
De plus, j’ai remarqué que les chefs autochtones préfèrent souvent aller voir des sénateurs masculins plutôt que des femmes, car les hommes sont souvent plus enclins à dénoncer les problèmes.
Dans le monde des affaires, nous observons de plus en plus de femmes autochtones occupant des postes dans des secteurs tels que le tourisme, qui étaient dominés auparavant par les hommes. Cette évolution est impressionnante et montre notre capacité à nous adapter et à nous épanouir dans différents domaines.
Dans certaines communautés, la gouvernance est désormais assurée autant par des hommes que des femmes, ce qui témoigne d’une avancée significative vers l’égalité des sexes et la reconnaissance du rôle crucial des femmes dans la prise de décision.
Quels sont les principaux enjeux de la réconciliation avec les peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes et des filles autochtones?
Le gouvernement a ordonné une enquête nationale, mais il est essentiel d’avoir des mécanismes de vérification des plaintes ainsi qu’un tribunal de plaintes autochtones pour assurer une réelle responsabilité du Canada quant à la protection des femmes et des enfants.
Il est important de reconnaître que mener des enquêtes n’est pas suffisant si aucune action concrète n’est entreprise pour remédier aux problèmes. Nous devons passer à l’action et mettre en place des mesures efficaces pour assurer la sécurité et le bien-être des femmes et des enfants autochtones.
Quelles mesures concrètes peuvent être prises pour améliorer la sécurité et le mieux-être des femmes autochtones, notamment en ce qui concerne la violence et la discrimination?
En matière de sécurité publique, il est crucial que les policiers reçoivent une formation adéquate et soient bien informés sur la manière d’intervenir en cas de violence. Ils doivent être sensibilisés aux réalités particulières auxquelles sont confrontées les femmes autochtones afin de leur fournir un soutien approprié.
À l’échelle communautaire, il est essentiel de mettre en place des structures solides pour accompagner les femmes, en leur offrant un endroit sécuritaire où se réfugier et en leur proposant un processus de guérison. Il est impératif de protéger à la fois les victimes et les parties impliquées pour éviter que le cycle de la violence se perpétue.
Par ailleurs, les investissements dans la création d’emplois et d’occasions d’enseignement dans les territoires autochtones, ainsi que l’amélioration des infrastructures et le financement adéquat favorisent l’harmonie au sein des familles. En renforçant l’économie locale et en offrant des perspectives plus intéressantes, nous contribuons à créer un environnement propice au mieux-être des femmes autochtones.
Quelles leçons tirez-vous de vos expériences en tant que militante et défenseure des droits des femmes autochtones?
Rien n’est facile et rien n’est acquis! Les parcours sont parsemés de surprises, parfois douloureuses et soudaines, mais il y a toujours quelqu’un ou quelque chose qui apporte des réponses ou qui m’encourage à ne pas abandonner.
En politique, les luttes peuvent être féroces, mais au fil du temps, et grâce à mes interactions avec mes mentors et à mon bagage d’expérience, j’ai appris l’importance de ne pas chercher à être une superhéroïne. C’est un apprentissage essentiel pour préserver ma santé mentale et ma stabilité émotionnelle.
Je me concentre sur le présent sans attentes excessives pour l’avenir. Je sais que je ne peux pas tout résoudre en une seule journée, donc je me fixe des objectifs réalistes et je m’efforce de faire de mon mieux avec le temps et les ressources dont je dispose.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes autochtones qui aspirent à jouer un rôle actif dans la promotion du changement social et de la justice pour leur communauté?
Je leur conseillerais de nourrir leur passion et de se rappeler que les choses se produisent en temps et lieu. Il est important de ne pas se décourager et de persévérer.
Il est également essentiel de ne pas craindre de s’entourer de personnes ayant des compétences et des expertises différentes des leurs. Tirer parti des forces d’autres personnes et accepter qu’elles puissent avoir la force et la passion de communiquer leurs connaissances peut être extrêmement gratifiant.
Enfin, je leur conseillerais de ne pas s’engager dans toutes les causes qui se présentent à elles. Il est important de « choisir ses batailles » avec soin et de se concentrer sur celles où l’on peut vraiment apporter un changement significatif.