Le renforcement des cultures des Premières Nations pour accroître la sécurité des enfants 

Introduction 

Depuis le début des années 2000, la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans le système de protection de la jeunesse est documentée au Canada (Trocmé et coll., 2004). Entre 2009 et 2016, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) s’est penchée sur ce dossier et a réalisé des travaux qui ont démontré la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans le système de protection de la jeunesse au Québec. Par la suite, la CSSSPNQL a mené une recherche de nature qualitative, entre 2017 et 2022, intitulée Mieux comprendre le phénomène de la négligence envers les enfants dans le contexte des Premières Nations au Québec – Volet 4 de l’Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la protection de la jeunesse (ci-après nommée « volet 4 »). 

Ce texte porte principalement sur différents aspects de ce vaste sujet : 

  • L’état de la situation entourant la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans le système de protection de la jeunesse au Québec. 
  • La façon qu’ont des Premières Nations de percevoir la négligence et la protection des enfants. 
  • Les éléments essentiels d’un modèle de services de prévention et de protection culturellement sécuritaires. 

Valeur des enfants 

Chez les Premières Nations, les enfants ont une valeur spirituelle, ils sont considérés comme un cadeau du Créateur et sont vus comme étant l’avenir des nations : « Puisque les enfants viennent de la Terre du Créateur, je crois qu’ils ont une grande valeur pour nous, comme parents et grands-parents, et que nous devons les traiter avec respect, les guider dans la bonne direction » (extrait de la vidéo Les enfants vus par les aînés, chaîne YouTube CSSSPNQL, 2017). 

Contexte 

En 2016, l’Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la protection de la jeunesse – Volet 3 : Analyse de données de gestion des établissements offrant des services de protection de la jeunesse, publiée par la CSSSPNQL, mettait en lumière d’importants constats par rapport aux signalements retenus pour cause de négligence et à la surreprésentation des jeunes des Premières Nations dans le système de la protection de la jeunesse. 

En 2017, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a accordé une subvention de recherche à la CSSSPNQL afin qu’elle poursuive ses travaux et continue à documenter et à mieux comprendre le phénomène de la négligence dans le contexte des Premières Nations au Québec. 

Le volet 4 de l’Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la protection de la jeunesse, dont la collecte de données s’est échelonnée de juin 2019 à octobre 2020, a permis de rencontrer 140 personnes de quatre communautés et d’un centre d’amitié autochtone ainsi qu’une équipe de la protection de la jeunesse du réseau québécois. Les résultats de cette recherche s’arriment avec ceux du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission Laurent). 

Faits saillants de l’analyse 

  • Le concept de négligence n’a pas d’équivalent dans les structures sociales traditionnelles des Premières Nations, car la réponse aux besoins fondamentaux des enfants est une responsabilité partagée par la famille élargie. 
  • Le regard des Premières Nations entourant la négligence est fondé sur un paradigme différent de celui des allochtones, principalement parce qu’il s’inscrit dans un contexte de colonisation. 
  • Une situation de négligence ou de risque sérieux de négligence ne peut être interprétée sans tenir compte des effets des traumatismes intergénérationnels sur la parentalité. 
  • La Loi sur la protection de la jeunesse ne considère pas les effets des lois et des politiques coloniales sur la parentalité des Premières Nations. 
  • La guérison des traumatismes intergénérationnels, l’inclusion de la famille élargie dans le processus de guérison ainsi que la valorisation des compétences parentales des Premières Nations sont des pistes à considérer pour une offre de services culturellement sécuritaires. 
  • Les approches fondées sur les valeurs culturelles ainsi que les pratiques d’intervention propres à la culture de chaque nation sont des pistes d’actions à privilégier afin que les services de prévention et de protection soient culturellement sécuritaires. 

Constats 

En ne reconnaissant pas les effets de la colonisation et des inégalités structurelles sur la parentalité des Premières Nations, l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse ainsi que ses approches, ses méthodes et ses outils contribuent à maintenir à un haut niveau les facteurs de risque menant à la rétention d’un signalement par les services de protection de la jeunesse. 

Les trois rapports de recherche publiés par la CSSSPNQL, en 2013 et en 2016, ont émis des constats assez troublants. Par exemple, les enfants des Premières Nations sont surreprésentés à tous les stades du processus de protection de la jeunesse, et ce, de manière encore plus prononcée pour ce qui est du placement en milieu substitut (familles d’accueil, institutions ou foyers de groupe). Le taux moyen pour 1 000 enfants est 7,9 fois plus élevé chez les enfants des Premières Nations que chez les enfants non autochtones2 et la récurrence (le taux moyen pour 1 000 enfants) est 9,4 fois plus élevé chez les enfants des Premières Nations que chez les enfants non autochtones. 

Il ressort également que le nombre d’évaluations des signalements de négligence par tranche de 1 000 enfants est 6,7 fois plus élevé chez les enfants des Premières Nations que chez les enfants non autochtones. Parmi toutes les formes de maltraitance, il s’agit de la disparité la plus importante. 

Facteurs de risque 

Compte tenu des grands bouleversements culturels engendrés par les politiques d’assimilation ainsi que par les traumatismes vécus dans les pensionnats et les écoles de jour, des études démontrent qu’en matière de protection de la jeunesse, plusieurs familles des Premières Nations présentent plusieurs facteurs de risque. On y trouve un plus grand nombre de familles en situation de pauvreté, n’habitant pas un logis stable, plus de parents en bas âge, un taux plus élevé de parents ayant eux-mêmes vécu de la maltraitance au cours de leur enfance ainsi qu’un plus haut taux de parents qui consomment de manière abusive de l’alcool et des drogues. 

Les lois et les politiques coloniales ont placé les familles des Premières Nations en situation de grande vulnérabilité socioéconomique. Le Tribunal canadien des droits de la personne a reconnu que le gouvernement fédéral a fait preuve de pratiques discriminatoires dans le sousfinancement accordé aux services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et a ordonné au gouvernement de réformer son mode de financement afin de couvrir les coûts réels de certains services de première ligne destinés aux enfants et aux familles. L’offre de services au sein des communautés des Premières Nations est encore teintée par le sousfinancement des services de prévention ainsi que par l’imposition d’un système de protection de la jeunesse dans lequel les approches conceptuelles ainsi que les outils cliniques utilisés contribuent à la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans le système de protection de la jeunesse. 

Nous pouvons observer de la méfiance chez plusieurs personnes qui, même avec l’implantation de services de prévention dans leur communauté, ne perçoivent pas la différence entre les divers niveaux d’intervention (première et deuxième lignes) et n’utilisent pas ces services, de peur de se faire enlever leur enfant. Ainsi, dans certaines communautés, une situation familiale qui pourrait être résorbée grâce au soutien de services de prévention peut malgré tout continuer à se détériorer et se conclure avec un signalement à la protection de la jeunesse parce que la famille a préféré ne pas y faire appel. 

Les traumatismes intergénérationnels peuvent engendrer des problématiques de dépendances, de santé mentale et de violence et sont souvent liés à une perte d’identité culturelle, à une faible estime de soi et à une marginalisation, voire à une exclusion socioéconomique. Ces blessures sont transmises de génération en génération puisque les personnes ayant vécu une expérience traumatisante n’ont pas obtenu la guérison nécessaire et continuent de transporter ce bagage. 

Espoir : facteurs de protection 

Afin d’améliorer la situation, plusieurs communautés ayant pris en charge leurs services de prévention et de protection de la jeunesse repensent leurs façons de faire et utilisent de plus en plus des méthodes issues de leur héritage culturel. Par ce virage, les Premières Nations revendiquent leur droit à la gouvernance et réaffirment leur statut distinct, avec des valeurs, des approches et une conception du mieux-être qui leur sont propres. 

Ainsi, le partage de la responsabilité de répondre aux besoins de l’enfant par les membres de la famille élargie et de la communauté est essentiel. La proximité du lien de la famille immédiate (parents et enfants) s’étend à la famille élargie, soit aux grands-parents, aux oncles, aux tantes et aux autres membres du clan familial. Tous contribuent au développement des premiers liens d’attachement significatifs, à l’apprentissage de la langue et à la transmission des valeurs et des savoirs traditionnels. 

Nous observons plusieurs distinctions entre le style d’éducation des Premières Nations et celui des allochtones. Par exemple, chez les Premières Nations, il y a une plus forte valorisation des pratiques éducatives fondées sur un « style permissif » ainsi qu’un style d’apprentissage par observation et par imitation des gestes effectués par les aînés, de façon intuitive, plutôt que sur le style « autoritaire » ou « démocratique » que l’on trouve majoritairement chez les allochtones. 

Les intervenants en protection de la jeunesse issus de leur communauté connaissent bien le contexte historique et familial des familles éprouvant des difficultés. Ils sont souvent plus tolérants face à une situation signalée en protection de la jeunesse puisqu’ils comprennent la dynamique familiale et savent si les besoins de l’enfant sont comblés par d’autres personnes que les parents immédiats. Ce contexte favorise l’offre de services culturellement sécuritaires, une structure dans laquelle certains services, ou l’ensemble des services de protection de la jeunesse, sont pris en charge par la communauté. Cela favorise un soutien à la famille à long terme par les services de prévention ou encore par des aidants naturels ainsi que l’utilisation des approches et des méthodes traditionnelles de soutien et de guérison. 

Sur quelles forces se baser? 

La revitalisation des langues et des cultures des Premières Nations constitue le pilier de l’autodétermination et de l’instauration d’un gouvernement par et pour les Premiers Peuples, avec des structures et des pouvoirs leur permettant, au besoin, de se doter de nouvelles lois. 

Pour plusieurs Premières Nations, l’amélioration du mieux-être global passe, entre autres choses, par la gouvernance de leur offre de services et l’actualisation des traditions. Après des décennies d’offre de services issus des approches occidentales et ayant davantage contribué à l’augmentation d’un mal-être plutôt qu’à l’amélioration du mieux-être, le lien de confiance de la population envers les services doit incontestablement être rétabli, même dans le cadre d’une offre de services par et pour les Premières Nations. 

Il semble important ici de rappeler et de souligner la résilience des aînés. Parmi ceux qui ont vécu les grands bouleversements ainsi que l’époque des pensionnats et des écoles de jour, plusieurs ont pu poursuivre la transmission intergénérationnelle des savoirs, malgré les traumatismes. Les aînés jouent un rôle central au sein des communautés actuellement en processus de prise en charge de leurs services de prévention et de protection, car ils sont les gardiens des savoirs. Ils sont consultés et leurs approches sont appliquées dans le virage opéré dans une offre de services culturellement sécuritaires. 

Proposition : offre de services culturellement sécuritaires 

Une image contenant texte, cercle, capture d’écran, Police

Description générée automatiquementAfin de soutenir le leadership des communautés et des organisations dans leurs travaux visant une pleine autonomie et la gouvernance des services de protection de la jeunesse dans le cadre de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, le rapport propose un modèle de services de prévention et de protection culturellement sécuritaires pour les Premières Nations. Ce rapport s’inspire du cadre conceptuel écosystémique, de ses diverses composantes (chronosystème, système société, système nation, système communauté et territoire, système famille et système enfant) et du tambour tewegan5

Dans ce modèle, l’enfant et ses besoins sont placés au centre des actions et mis en relation avec toutes les composantes écosystémiques. Les lanières de cuir tissées au dos du tambour tendent la peau et se joignent au centre pour solidifier le tout et créer un son unique. Elles représentent les liens d’interdépendance entre les éléments qui constituent l’environnement de l’enfant. Qu’ils soient directement ou indirectement en lien avec lui, au moment présent ou dans le passé, ces éléments ont une influence sur le mieux-être de l’enfant. Toutes les personnes offrant des services doivent considérer ces éléments dans leur intervention auprès d’un jeune des Premières Nations et de sa famille. Tous les adultes devraient être à l’écoute des émotions des enfants (domaine de l’immatériel), comme lorsqu’ils écoutent le son du tewegan

Afin d’être culturellement sécuritaires, les services que propose ce modèle tiennent compte des besoins essentiels de l’enfant tout au long de son développement. Les savoirs, les valeurs culturelles et la langue appris sur le territoire sont tout aussi importants que les connaissances et les compétences acquises dans le milieu scolaire. Ce modèle suggère que les services offerts aux enfants et à leur famille s’inscrivent dans cette vision holistique, où tous les facteurs contextuels et temporels sont interreliés. Dans le cercle jaune, le mot « tambour » apparaît dans les différentes langues des Premières Nations. 

Une offre de services culturellement sécuritaires ne pourra véritablement être optimale tant que des facteurs structuraux, comme les inégalités (légales, sociales, économiques, etc.) et le racisme systémique persisteront. Il est donc nécessaire de poursuivre les travaux avec les ordres du gouvernement dans différentes sphères d’activités, d’assurer la mise en œuvre des recommandations et des appels à l’action émis par les différentes commissions d’enquête et de poursuivre les travaux de recherche ainsi que les travaux en éducation visant à briser le cycle des préjugés et de la discrimination. 

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