Stérilisations imposées : révéler la vérité cachée

Pour bien des gens, la stérilisation imposée est une réalité méconnue et difficile à comprendre en raison du degré de violence qu’elle implique. Pourtant, encore aujourd’hui, des femmes autochtones subissent d’importantes violations de leurs droits dans un contexte de soins gynécologiques et obstétriques. Pour nous en apprendre davantage sur les stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations, Suzy Basile et Patricia Bouchard, respectivement professeure et doctorante à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, et co-autrices du premier rapport sur les stérilisations imposées au Québec, ont gentiment répondu à quelques-unes de nos questions.

En quelques phrases, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la stérilisation imposée?

La stérilisation imposée fait référence à une intervention médicale qui compromet durablement la fertilité d’une femme, en l’occurrence la ligature des trompes de Fallope ou l’hystérectomie (aussi appelée la « grande opération »). Dans les cas qui nous intéressent, les femmes autochtones n’ont pas été en mesure de donner un consentement libre et éclairé, soit parce qu’on ne les a pas suffisamment informées sur les tenants et les aboutissants de l’intervention, soit parce que la chirurgie a été réalisée à leur insu.

Le rapport sur la phase I du projet de recherche des stérilisations imposées a été publié en novembre 2022. Pouvez-vous résumer les résultats et citer quelques conclusions de cette première phase?

Au total, 35 personnes ont pris part à la phase I, ce qui a permis de documenter le phénomène pour l’une des premières fois au Québec. Plusieurs cas ont été rapportés lors des entrevues, dont des violences obstétricales, des avortements imposés ainsi que de multiples violations du consentement libre et éclairé des femmes Premières Nations et Inuit lors de l’accouchement. Si on examine l’ensemble des témoignages, on constate de nombreux points de convergence, même si les événements ont eu lieu dans des régions administratives différentes et à plusieurs années d’intervalle. Ainsi, la persistance et la récurrence de ces formes de violence affectent les femmes autochtones au Québec lorsqu’elles consultent en gynécologie-obstétrique.

En quoi consiste la phase II du projet de recherche sur les stérilisations imposées? Quelle est son importance?

À la suite de la parution du rapport, un nombre important de femmes se sont reconnues dans les situations décrites par les participantes et ont souhaité y ajouter leur voix. Il était important pour l’équipe d’aller à leur rencontre pour leur offrir la possibilité de partager leur histoire avec nous, mais comme la phase I s’est déroulée durant la pandémie, il était impossible d’effectuer les entrevues en personne. De plus, compte tenu de la sensibilité du sujet, certaines personnes n’étaient pas à l’aise de raconter ce triste pan de leur vie sur Zoom ou par téléphone. Maintenant que les restrictions liées à la pandémie sont levées, nous avons pu nous rendre dans plusieurs communautés cet été et nous poursuivons nos visites cet automne. La phase II permet également de documenter des thématiques additionnelles, telles que les avortements imposés, les signalements à la naissance (alertes bébés) et les éventuels tests sanguins sur les nouveau-nés.

Pouvez-vous nous expliquer l’apport du groupe de travail mis sur pied par le Collège des médecins du Québec à cette recherche?

La création du Groupe de réflexion sur les interruptions de grossesse et les stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit au Québec était l’une des 31 recommandations formulées dans le rapport. Le Collège des médecins a rapidement pris acte et a réuni quelques-uns de ses membres, des représentants des Premières Nations, ainsi que des chercheurs afin de poursuivre la réflexion et de déployer un plan d’action concret. Le mandat de ce groupe de travail devrait prendre fin en décembre 2023 avec la présentation de mesures que le Collège des médecins mettra en place afin de s’assurer qu’il n’y ait plus de stérilisations ni d’avortements imposés au Québec.

Quels sont les effets à long terme des stérilisations imposées sur les communautés des Premières Nations?

Les répercussions sont profondes et multiples, à commencer par la personne qui a été victime d’un tel acte, ainsi que sa famille et sa communauté. L’onde de choc créée par ces actes de violence est considérable et suscite la consternation et l’incompréhension. Cette atteinte à la fertilité de la femme est lourde de conséquences pour son estime de soi, sa féminité, ses relations avec son conjoint et sa confiance envers les professionnels de la santé et des services sociaux, entre autres. À cela s’ajoutent parfois des enjeux de santé importants, comme des douleurs et une ménopause précoce accompagnée de symptômes incommodants.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette terrible réalité pour éviter que de telles pratiques se reproduisent à l’avenir?

D’une part, la stérilisation imposée est un phénomène qu’on peut étudier dans une perspective historique dans de nombreux pays du monde. Cependant, au Canada, il convient d’examiner cette grave violation des droits fondamentaux en deux temps : au passé et au présent. Le plus récent cas de stérilisation imposée au Québec qui nous a été rapporté remonte à 2019, ce qui signifie qu’il faut agir ici et maintenant pour empêcher que d’autres femmes autochtones subissent une opération stérilisante sans leur consentement. Les 31 recommandations formulées dans le rapport sont appuyées par d’autres études et par les conclusions de différentes commissions d’enquête. Elles portent sur l’éducation, la prévention, les sanctions et la documentation du phénomène. Chacune d’entre elles ajouterait une pierre à l’édifice et ferait en sorte que la stérilisation imposée soit véritablement chose du passé au Québec.

Quelles sont les retombées de cette recherche à ce jour?

Il y a 11 mois que le rapport a été rendu public, et plusieurs retombées méritent d’être soulignées :

  • un groupe de réflexion a été mis en place par le Collège des médecins;
  • plusieurs cours et programmes universitaires y font référence;
  • un article sur le colonialisme médical est paru dans la revue internationale The Lancet;
  • une invitation a été reçue pour participer aux travaux d’une enquête nationale sur le sujet au Groenland;
  • le projet de loi S-250 visant à criminaliser la stérilisation imposée est en seconde lecture au Sénat canadien;
  • un recours collectif regroupant des femmes de la nation Atikamekw qui ont été stérilisées à l’hôpital de Joliette est en cours;
  • plus important encore, les femmes des Premières Nations sont de plus en plus informées et conscientes de leurs droits à une bonne santé reproductive.

La phase II de la recherche devrait déboucher sur un second rapport qui contribuera à une meilleure compréhension des enjeux auxquels font face les femmes des Premières Nations en matière de consentement et de santé reproductive. La collecte de témoignages se poursuit : il est encore temps de raconter votre histoire et votre vérité, dans le respect et la confidentialité.

Pour plus d’information, cliquez ici.
Pour participer à la recherche, veuillez communiquer avec les personnes suivantes :

Suzy Basile, Ph. D.
Professeure, École d’études autochtones
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones
Directrice du Laboratoire de recherche Mikwatisiw, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
suzy.basile@uqat.ca

Patricia Bouchard, M. Sc.
Chargée de projet, formatrice pour les dossiers autochtones et doctorante
Service de la formation continue, École d’études autochtones, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
patricia.bouchard@uqat.ca

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